De tortues en aiguilles 2

De tortues en aiguilles 2

Opération “tortue du désert”

Chaque année, le Pentagone dépense des dizaines de millions de dollars pour protéger les espèces menacées qui vivent dans l’enceinte de ses camps d’entraînement.

28.10.2010 | Leslie Kaufman | The New York Times

Fort Stewart, en Géorgie. Sous un ciel d’hiver cristallin, une unité d’infanterie légère s’entraîne au tir de précision à longue distance à travers un nuage de fumée. Mais les feux qui sont à l’origine de cette fumée n’ont rien à voir avec l’exercice : des membres du commandement ont en effet fait mettre le feu pour porter assistance à la population de pics à face blanche du camp. Ces oiseaux longs d’une vingtaine de centimètres sont une espèce menacée et leur habitat requiert des incendies fréquents.

Alors même que des exercices y sont effectués en permanence dans la perspective du conflit en Afghanistan, 
Fort Stewart dépense pas moins de 3 millions de dollars [2,14 millions d’euros] par an pour la protection de la vie sauvage, entretenant cons­ciencieusement ses 140 000 hectares à l’intention des cinq espèces menacées qui y vivent. En 2009, les membres de l’équipe en charge de l’environnement ont même construit une centaine de cavités artificielles qu’ils ont fixées à de grands pins à 7,50 m du sol, afin que les pics n’aient pas à peiner pendant six mois pour construire eux-mêmes leur nid.

15 millions d’hectares vierges 

L’armée américaine n’a pas toujours dé­fendu de manière aussi fervente la flore et la faune menacées, sous prétexte que cela entravait sa préparation au combat. Mais, petit à petit, les commandants de camp ont pris conscience qu’il était dans leur intérêt d’œuvrer pour la recolonisation des es­pèces : plus les populations de plantes et d’animaux menacés se reconstituent, moins on impose à l’armée de restrictions sur ses exercices susceptibles de détruire les écosystèmes. A présent, des dizaines de sites militaires partout dans le pays produisent d’énormes efforts pour sauver les espèces menacées, depuis Eglin, en Floride, où l’Air Force a réhabilité des ruisseaux pour le darter d’okaloosa [poisson ovale de moins de 50 millimètres de long], jusqu’à l’île de San Clemente, en Californie, où la Navy a aidé à sauver la pie-grièche migratrice.

Propriétaire d’environ 15 millions d’hectares relativement vierges, qui sont souvent l’habitat fragile de plantes et d’animaux, l’armée tente, tout en maintenant ses exercices, de remplir les obligations imposées par des lois fédérales telles que l’
Endangered Species Act [loi sur les espèces menacées]. Selon les chiffres du Pentagone, entre 2004 et 2008, le ministère de la Défense a dépensé 300 millions de dollars pour la protection d’espèces menacées. 

L’armée prévoit maintenant d’intensifier ses efforts afin que le nombre d’espèces menacées sur ses terres passe au-dessous de 420 ; elle compte également restaurer les écosystèmes de plus de 500 espèces considérées comme étant en danger. Désormais, la formation en écologie des commandants de garnison fait aussi partie de la routine. Dans certains cas, néanmoins, les priorités sont incompatibles : ainsi, la Navy continue de dépendre de ses sonars à moyenne fréquence, au grand dam des écologistes, qui accusent ces technologies de bouleverser les activités des baleines et des dauphins au large des côtes californiennes. Mais, pour chaque désaccord, on peut citer un exemple d’effort important accompli pour protéger les animaux. Ainsi, dans la ville de Twenty-Nine Palms, en Californie, les marines ont construit en 2005 un centre d’élevage et d’étude de la tortue du désert, afin de protéger les jeunes tortues, dont la carapace est encore molle, contre les attaques des corbeaux. 

Organiser des partenariats 

Cependant, le succès de ces initiatives a fait naître une inquiétude au Pentagone : sans nouveau territoire vierge près des installations de l’armée, l’entraînement des soldats pourrait être compromis dans les années à venir, 
explique Janice W. Larkin, coordinatrice de l’information pour la Sustainable Ranges Initiative du ministère de la Défense. Alors, pour limiter les pressions d’une urbanisation envahissante, l’armée a réussi à faire payer au Congrès des achats de terrains pour la conservation de la nature à partir de l’année fiscale 2005.

Dès 2009, le budget de ces achats a atteint 56 millions de dollars. Le Pentagone ne désire pas tant être propriétaire de ces terres qu’organiser des partenariats. Fort Stewart en a 
ainsi développé un avec la Georgia Land Trust [association privée luttant pour la protection de l’environnement], le ministère des Ressources naturelles de Géorgie et le gouvernement du comté dans le but de préserver 50 000 hectares aux alentours du camp. Non loin de là, le camp de Townsend Range, du corps des marines, travaille avec Nature Conservancy [autre organisation américaine de protection de l’environnement] pour protéger 7 500 hectares de la rivière Altamaha. Aux yeux d’Alison McGee, biologiste pour Nature Conservancy en Géorgie, les engagements du Pentagone ont permis à des groupes locaux d’être bien plus ambitieux dans la reconstruction de l’écosystème naturel. “Après tout, il s’agit de l’armée, explique-t-elle. Grâce à elle, nous pouvons travailler à une très grande échelle.



11/03/2011
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